« J’ai toujours voulu travailler dans la construction »
Zéline fait partie du premier groupe de 24 artisans et artisanes de la construction formés dans le cadre du projet « Action pour l’habitat » à Lavial, dans le sud-est d’Haïti. Avec sa famille, elle vit dans une maison que séisme et cyclone ont gravement endommagée. Mais cette situation difficile touche à sa fin : Zéline a commencé la construction de sa nouvelle maison.
En 2017, Zéline a participé à son premier chantier-école en tant que femme artisane – un métier traditionnellement réservé aux hommes -, avec beaucoup d’enthousiasme, mais aussi un peu d’appréhension. Dans une région durement touchée par le chômage, où il n’est pas facile, particulièrement pour une femme, de trouver une activité rémunérée, c’est ainsi que l’aventure d’un nouveau métier a commencé pour elle.
Pour mieux comprendre la situation de Zéline, il faut la suivre à travers les petits sentiers qui traversent les montagnes, entre les manguiers, les arbres à pain et autres végétations de la zone. Après une longue marche, une petite maison faite de bric et de broc pointe enfin. « Avant, je vivais dans cette maison des années 60, celle de mes parents décédés. J´y vivais avec mon mari, mes trois enfants et l´un de mes frères aveugle ; les autres vivent à Port-au-Prince. » Une situation de cohabitation très courante à Lavial.
L´après-midi du 12 janvier 2010, Zéline était dans la cuisine extérieure. Elle préparait le dîner auprès de son fils de deux ans. Soudain, la terre s’est mise à trembler. Zéline se précipite alors à l´intérieur car son bébé de trois mois dormait dans la chambre. « Quand je suis entrée, la moitié du mur était tombé sur le lit où le bébé dormait », se souvient-elle en nous montrant le mur en ruines. « J´ai vite retiré les débris. L’enfant saignait des jambes et de la tête, il était blessé mais heureusement, il n´est pas mort. » En 2016, l´ouragan Mathew finit par rendre la maison totalement invivable en emportant la toiture : « alors on a mis des bâches en plastique pour nous protéger de la pluie mais l´eau entrait de toutes parts. »
« Bientôt, je vais avoir une nouvelle maison. Je ne peux pas le croire ! Mon beau-père nous a offert un terrain à mon mari et moi pour que nous puissions y habiter. » Un lieu idyllique, au bout d’une crête, avec une vue imprenable sur les collines de Lavial. « Maintenant, j’y construis ma propre maison. Nous sommes cinq artisans à y travailler tous les jours. Le travail avance bien et je suis heureuse. »
« Pour moi c´est un privilège d´être bénéficiaire d´une belle maison comme ça », dit-elle en tapotant l´un des contreventements en bois de sa future maison. « Seule, je n´aurais jamais pu en construire une, ou cela m´aurait pris beaucoup de temps, des années, en plus d’énormément d´argent. »
Un changement de vie qui lui demande aussi un engagement important. Artisane sur le chantier, Zéline reste toujours femme au foyer ; préparer les repas, s´occuper de ses trois enfants, les baigner, faire les devoirs de l´école, laver le linge, etc. Femme d’énergie et de conviction, elle milite cependant pour une meilleure répartition des tâches entre hommes et femmes. A La Vallée, les femmes-maçons font bouger les lignes. Mais la société évolue lentement…
Avec son casque de chantier, Zéline dégage beaucoup d’assurance. Elle est désormais une « boss », une artisane professionnelle. « J´aime être artisane, je suis heureuse de mon travail, et maintenant j´ai un métier. J´ai appris beaucoup de choses, alors qu’au départ je pensais ne pas être capable de devenir « boss », mais oui, j´ai réussi. Depuis que je suis petite, j’ai toujours voulu travailler dans la construction. Maintenant, en plus de ma propre maison, je travaille sur un autre chantier le week-end. Je me sens à l´aise. » Fière du travail déjà accompli, Zéline regarde sa maison en souriant. « Moi je veux continuer à construire des maisons. »
Après 6 mois de chantier, Zéline a inauguré sa nouvelle maison en mars 2019. Construite en bois, pierres et sable, elle est inspirée des techniques constructives locales traditionnelles, avec des adaptations dites « modernes », comme la salle de bain intérieure. Femme-maçon, Zéline continue à se former et travailler sur des chantiers de construction et de réhabilitation de maisons en matériaux locaux. En parallèle, elle s’implique de plus en plus dans la lutte pour les droits des femmes. Une histoire à suivre !