La solidarité, c’est le sel de la vie !
Forte de 1200 membres, l’Ojucah est le partenaire haïtien du projet Action pour l’Habitat. Prosper en est le trésorier depuis bientôt 10 ans et l’un des fondateurs. Professionnel de l’aide au développement, il est aussi responsable régional du Fond Haïtien d´Aide à la Femme depuis 2007. Mais c’est en tant que bénévole qu’il est l’un des responsables de l’Ojucah. Avec sa voix de baryton et son charisme enjoué, Prosper évoque ici l’évolution de son association, dont le travail avec les habitants de communes rurales de La Vallée et Bainet est de plus en plus reconnue dans le Sud-est d’Haïti.
« Je suis de la communauté, je fais partie de la communauté, je suis allé à l´école de la communauté. La maison de ma grand-mère se trouve à quelques pas du bureau de l’Ojucah ! » (Organisation des Jeunes Universitaires de Carrefour pour l´Avancement d´Haïti). Prosper est un natif natal, comme on dit en Haïti. Mais La Vallée est une commune rurale et isolée qui offre peu de perspectives d’avenir pour les jeunes. « Après nos études primaires, tous les jeunes nous sommes partis à Port-au-Prince parce qu’à cette époque-là, il n´y avait pas d´école secondaire ici. »
« Pendant les vacances, on retournait dans la zone, on s´amusait entre nous, mais on avait pris conscience que la situation de notre communauté se dégradait encore.
Là où se trouve le bureau de l’Ojucah, il n´y avait plus un seul arbre. A perte de vue, les collines étaient dénudées et devenaient stériles. On s’est dit « c´est pas possible, il faut que ça change ! » C´est important de faire quelque chose de plus sérieux, en tant que jeunes de la communauté. On a alors décidé de se mettre ensemble, de se réunir, et c´est là que nous avons créé le Comité des jeunes de Lavial, l’organisation antérieure à l’Ojucah ». C’était il y a plus de 20 ans.
Les projets de développement commencent alors à émerger et les idées se concrétisent, comme l’accès à l’eau potable pour les habitants. Malgré le scepticisme de certains. « Le maire de la Vallée de l’époque se moquait de nous. Il disait que nous étions des rêveurs, que nous allions apporter de l’eau dans des bambous. Mais en moins de deux ans, des gens de Lavial avaient déjà de l´eau qui coulait dans leurs robinets ! »
Après cette première réussite, l’Ojucah poursuit son combat au service de la communauté. A son actif, par exemple, la construction d’une route, d’une école et d’un dispensaire, le développement d’activités économiques (agriculture et élevage) et, surtout, la reforestation, spécialité de l’association. Dans un pays où le déboisement a atteint un niveau très grave pour l’agriculture, l’environnement et les risques liés aux inondations et aux cyclones, l’Ojucah revendique pas moins d’un million d’arbres plantés !
Selon Prosper, le projet Action pour l’Habitat (APH) apporte un nouveau souffle aux actions de l’Ojucah et à la communauté. Particulièrement la formation de bòs, artisans et artisanes spécialisés dans la construction, ou encore d’expertes en permaculture. « Avec le projet qu´on réalise ensemble ces dernières années, le plus important est qu´on a formé plusieurs personnes. Cela permet à la communauté de progresser un peu plus du point de vue économique. En les aidant à trouver un métier, non pas un métier précaire mais un métier pour la vie, les jeunes femmes et les jeunes hommes apprennent quelque chose d´utile à toute la communauté et peuvent faire leur vie ici. Ça c´est un pas important. »
« Nous avons aussi de grands espoirs avec les projets de construction que nous menons ensemble », renchérit Prosper. « Jusque-là nous avions construit 10 maisons, puis 6 prototypes. Au niveau de la communauté, c´est comme une goutte d´eau versée mais qui ne donne ni le goût ni la couleur dans un récipient… Le nouvel objectif, c’est la construction et la réhabilitation de maisons pour plus de 100 familles ! C´est quelque chose de très ambitieux. Pour nous, cette année parait comme une goutte d´eau plus fraîche. »
« Avec le projet Action pour l’Habitat, d’une part nous faisons des choses positives pour la communauté et d’autre part, comme organisation, nous nous formons et nous apprenons à faire mieux que les années précédentes. »
L’Ojucah continue de progresser grâce à l’expérience acquise avec chaque nouvelle action, chaque chantier, chaque phase du projet. C’est aussi grâce à la richesse des partenariats multi-pays, une des clés du projet APH. « On se dit qu´on fait l’expérience d’une période vraiment intéressante » s’enthousiasme Prosper. « Les techniciens de l’Ojucah ont beaucoup appris grâce aux formations, sur les techniques de construction en matériaux naturels, le suivi de chantier, le diagnostic social, etc. C’est aussi le partage d’expériences qui nous fait évoluer. Par exemple, Habitat-Cité nous a conseillés sur la gestion des matériaux, nous a incités à acheter le plus localement possible. On a trouvé de nouvelles filières et nos projets y gagnent beaucoup. Travailler avec un partenaire nous permet de grandir et de devenir une organisation plus solide et autonome ».
« Nous autres, dans l´Ojucah, notre promotion, notre génération, nous avons tous conscience d´avancer, de faire quelque chose de bien pour la communauté. Nos parents, nos familles, tous nos proches vivent ici. C’est pour soulager leurs conditions de vie que nous nous sommes investis au départ. Alors nous sommes vraiment contents de faire ce que l´on fait. Et ça doit continuer. »
Inscrire les actions de développement de l’Ojucah dans la durée et assurer la pérennité des connaissances et savoirs acquis par l’organisation sont des préoccupations constantes pour ses membres fondateurs. « Dans l’Ojucah, il y a aussi des jeunes qui participent au développement. Il faut les encourager sinon, après la disparition de notre génération, tout va tomber à l´eau. Transmettre aux autres, c’est important. Il faut que des jeunes soient là pour prendre la relève et continuer avec la population », affirme Prosper.
« Dans le projet, je suis comme un messager, un messager actif. Je suis toujours bénévole et, même si j’ai des indemnités en tant que trésorier depuis 2019, je vis uniquement de mon salaire au FHAF (Fond Haïtien d´Aide à la Femme). Mais sur le plan personnel, c’est très positif pour moi ; je me sens fier de participer, de contribuer à ce que les choses s’améliorent pour la communauté. D’aider les autres. »
« Aujourd’hui notre travail est vraiment reconnu et ce que nous savons, ce que nous avons appris, nous le partageons avec d’autres organisations et avec les habitants d’autres communautés. Par exemple, on a organisé l´année passée deux conférences débats qui réunissaient des gens de Bainet, de la Vallée et même de Jacmel. Etre partenaire d’organisations internationales nous donne une crédibilité supplémentaire, mais ce sont nos résultats concrets qui parlent plus que tout ! Notre région est plus belle qu’avant. Et bien moins pauvre… »
« J’ai une image en tête : Mme Orianie. Grâce au projet APH, on a pu reconstruire sa vieille maison qui s’écroulait. Maintenant sa maison est très jolie, toute propre, avec l’électricité, et elle peut s’amuser avec ses enfants le soir. Et Mme Orianie, si tu la vois aujourd’hui, elle paraît beaucoup plus jeune qu’avant ! Pour nous, ça c’est la vie ! »